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Corse
1 juillet 2008

Je m'appelle Anna Livia

"Le soleil encore haut. Il éclairait presque toute la salle et en plein son visage nu, qui semblait avoir été desséché par le grand vent de la haute mer, les rides en lignes profondes et serrées se coupant à angles vifs, chaque fois qu'elle le regardait, ce visage lui communiquait son tourment.

Depuis longtemps déjà cette voix calme, elle l'écoute avec un calme indifférent. Elle le comprend mais pas tout à fait sans doute. Ce n'est encore pour elle qu'une histoire qu'elle ne croirait pas si elle était raisonnable, mais qui pourtant la retient. Une histoire, non même pas. Plutôt des images qui se font et se défont, qui s'effacent et puis reviennent, pour capter l'instant dans sa mouvance ou exprimer le tranquille désespoir d'une vie perdue.

Ce n'était peut-être pas dans les mots, pas dans ce qu'ils veulent dire, c'était dans la voix seulement. C'était la modulation de cette voix qui, faisant écho à ce qu'il y avait de plus obscur en elle, recontrait là un élan, l'impulsion première, un désir fugitif mais passionné, et semblait déjà clore le cercle de ce qui n'était pas encore.

Il parlait aussi d'apaisement, de celui que peut donner le geste, le mouvement le plus simple dans le même temps qu'il s'accomplit.

Elle a renversé la tête un peu en arrière comme pour prendre du recul et mieux voir.

Ce n'est plus lui qu'elle regarde dans l'encadrement de la porte ouverte, la rangée de cyprès raides et inaccessibles sur un ciel presque blanc. Tout au sommet de la montagne abrupte, à égale distance l'un de l'autre, ils barrent l'horizon. Procession de moines ou de fantômes, en marche vers qui, vers quoi, elle l'ignore. Peut-être qu'ils ne font qu'imiter simplement les cyprès  de la tapisserie derrière elle, au mur du fond de la salle. Copie si fidèle que c'est comme un jeu de miroirs. N'était la bordure de caractères gothiques au petit point. Mais ceux de l'horizon ne peuvent supporter la copie, tant ils éclaboussent la lumière et élargissent le ciel.

- Tu m'entends, Anna Livia, tu m'écoutes?

- Oui, Père.

Autant qu'elle se souvienne, ils sont là depuis toujours. Quatorze. Jamais personne n'a su dire si ce nombre a un secret ou même un sens, jamais personne n'a connu Castelvecchio sans la longue rangée de cyprès en bordure du ciel.

Quelque part au loin, un âne a commencé à lancer sa plainte que nulle réponse ne viendra apaiser, qui s'élève et retombe en hoquets pitoyables déchirant la campagne endormie."

Marie SUSINI

"Je m'appelle Anna Livia" (Folio)

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