1986

Voilà ce qu'il en coûte de tenir un journal. Une vilaine habitude dont j'ai fini par me délivrer. Mais qui aura longtemps survécu. Et qui me permet donc de retrouver des traces écrites lors de mon premier séjour à Costa.

1986. Le mercredi 30 juillet. Le jour de l'installation.

Trois mois après la catastrophe de Tchernobyl.

Une semaine de latence. Sans aucun doute le temps qu'il me fut nécessaire pour me familiariser avec le village et ses habitants.

J'ai écrit mes premières lignes le mardi 5 août.

Un fatras de banalités.

Le mercredi 6 août, j'exprime mon tout premier ressenti.

"Corse. Terre atrophiée. La vie se confine sur les rivages. Le tourisme: deux ou trois mois d'activité. Quoi d'autre? L'agriculture? Marginale. L'élevage en montagne. Quelques cultures vivrières. Les plaies purulentes des incendies. Une vieille dame raconte les oliveraies qui descendaient jusqu'à la mer. Il n'est presque plus d'oliviers. Terre sinistrée. Privée de solidarité. Extérieure à la république. Je me confronte à ce que je considère comme une violente injustice, de celle qui endurcit les coeurs et génère la colère."

Vingt deux ans plus tard, j'userais approximativement des mêmes phrases.

A quelques nuances près.

Au-delà des représentations icônographiques, au-delà de la présence de l'imagerie traditionnelle, je persiste à penser que la Corse ne fut jamais considérée par la république que comme un appendice de la France.

Un appendice ne présentant aucun intérêt.

Donc négligée, voire même abandonnée à elle-même.

Qui m'offre alors les reliefs de ses splendeurs.

Le monastère de Turiani.

Dont je n'ai jamais franchi la porte.

Ni en ce temps-là ni lors de mon récent séjour.

Puisqu'il eût été inconvenant d'imposer ma présence d'étranger.

(Un mot étrange que ce mot-là: "étranger". Un mot qui n'appartient pas à mon vocabulaire usuel. Un mot hors du champ de ma culture, moi qui ne suis qu'un homme parmi tous les hommes, moi qui "suis nécessairement homme et ne suis Français que par hasard".)