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Corse
11 septembre 2008

La fiera

J'ai donc connu la Corse avant de la fréquenter, d'y aborder, de me dissimuler dans les replis d'un village.

Je l'ai connue à travers les romans de Marie Susini, mais aussi dans cet ouvrage dont je me demande s'il subsiste aujourd'hui encore quelques exemplaires: "La Renfermée, la Corse" (photos de Chris Marker).

Marie Susini m'a communiqué le désir de découvrir sa Terre, cette Île omniprésente dans son oeuvre. Non seulement l'Île, mais les gens qui lui confèrent son âme, sa substance.

Je suis quelque peu désespéré que cette auteure majeure soit aujourd'hui confinée dans l'oubli.

Comme si, quelque part, la société des Belles Lettres, lui reprochait ce qui constitue sans doute un handicap, voire même une tare: avoir été femme et corse.

Je sème donc, ici et là, quelques cailloux. Pour que subsiste son souvenir. Pour que naisse, chez celui et chez celle qui les découvriront, le désir d'aborder à l'oeuvre léguée par Marie Susini.

"Dans la petite maison grise, devant laquelle il range maintenant sa longue voiture noire, le père et la mère cachaient aux gens leur misère. Tout près, l'épicerie où ils allaient acheter à crédit. Le soir, autour de la table, on faisait les comptes et chaque jour il fallait se priver d'avantage. Dès qu'il fut en âge de s'engager, le fils partit, avec le seul but de tirer ses parents de la misère. Mais peu de temps après, ils mouraient dans la gêne et la solitude. Alors le fils ne pensa qu'à une chose: revenir au village, y revenir en homme puissant et que chacun s'incline sur son passage, comme son père et lui-même s'étaient inclinés devant les autres. Et que son père puisse dire, de l'autre côté de la tombe, que c'était là un bon fils, et qu'il l'avait racheté de ses misères et de sa honte.

Après trente ans, il revenait au village avec des galons et des décorations, une automobile et des lunettes noires. Et chacun regardait avec respect cet homme et chacun était fier d'être salué par le capitaine. Mais, il la gardait sur le coeur, la misère de son enfance. Il ne pouvait s'en défaire; c'était plus difficile que de jeter un vieux vêtement, de s'arracher une épine du pied. Elle était là, plantée à jamais comme un clou dans sa chair, et ni la voiture, ni les galons, ni les décorations, ni le respect que les gens du village avaient pour lui ne pouvaient effacer l'image de son père, sur la place, tenant la bride du cheval."

Marie SUSINI

"La fiera" (Le Seuil)

Ce roman fut publié en 1956. Au coeur de la tourmente des guerres coloniales.

Je précise cela, car j'ai pris l'habitude, dans chaque village de Balagne, de m'arrêter devant le monument aux morts. Et j'ai découvert ce qui est absent de tant des monuments aux morts des villes et villages du continent qui me sont familiers: la liste de ceux qui sont morts aux cours de ces guerres.

Comme ici, à Belgodère.

Belgod_re34

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