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Corse
20 décembre 2008

Flammes

Quelques heures consacrées à la remise en forme de ce journal qui me permit de survivre au milieu des années 80.

Les 20 et 21 août 1986, j'écrivais:

"Depuis près de vingt quatre heures, vent d'une extrême violence (Antoine m'en a cité trois ou quatre fois le nom, mais je n'ai su le retenir!). Chaleur torride. Multiplication des incendies. D'énormes nuages d'une fumée noire au sud-est du village. Odeur âcre du bois brûlé. Pompiers impuissants à maîtriser le sinistre. Les canadairs pompent l'eau de mer du côté de Saint-Florent. Combien de fronts sur lesquels s'évertuer à résister?

Hier soir, sur les hauteurs qui dominent les villages, nous avons observé l'impitoyable ballet des flammes. Sur ces secteurs-là, les pompiers n'interviennent pas. Ils se contentent de contrôler. Au petit jour, en lieu et place du maquis, rien d'autre que des terres calcinées, noires, portant le deuil.

Un villageois m'a expliqué que ces incendies, dans la montagne, sont toujours provoqués par ceux qu'il appelle "les chevriers". Le feu élimine une végétation peu propice au pâturage de leurs troupeaux et favorise, dès l'automne, après les premières pluies, la pousse de nouveaux herbages....

..... Lente descente de l'astre solaire jusqu'au sommet des collines qui surplombent la mer. Le vent s'est apaisé, ce vent si brutal, si obstiné, qui a conféré aux incendies de la veille une dimension dramatique difficile à supporter.

Tout au long de l'après-midi et de la soirée, Costa a été cerné par les flammes. Celles qui s'envenaient du sud-ouest, qui longeaient la côte et s'engouffraient dans la plaine. Celles qui descendaient de la montagne, juste au-dessus de nos têtes. D'immenses nuées d'une fumée grise ont longtemps obscurci le ciel.

Angoisse insoutenable. Odeurs âcres. Les yeux qui pleurent. De douleur tout autant que d'une rage à peine contenue. La vie qui suspend son mouvement. Victoire provisoire des hommes. Car, dès le lever du jour, le vent a redoublé de violence. De nouvelles et si proches fournaises. Mais Antoine me l'a affirmé: les principaux foyers sont désormais circonscrits.

Mileu d'après-midi. Nous empruntons la route qui descend vers la mer. Mesurer l'ampleur du désastre. Tout le versant de la montagne a brûlé. Ne subsistent que des squelettes macabres, ceux des arbustes dont quelques uns continuent à se consummer. Terres noires, pelées, arides. Un convoi de six véhicules de la protection civile. Vers quel nouveau brasier se dirigent ces hommes dont je n'ai pu entrevoir les visages?

Quelques fous massacrent la Corse. De la terrasse sur laquelle je suis installé, j'imagine les paysages d'autrefois à travers les descriptions d'Antoine, de Pierre, de quelques vieux habitants du village. Aujourd'hui? Quelques arbres solitaires. Des taillis inextricables. L'enchevêtrement des ronces. Une terre en voie de désertification. La Corse que je découvre survit autour de l'espace maritime, dans l'illusion que les activités touristiques lui concèderont une ultime chance.

J'aime Costa. J'aime tous ces villages de la moyenne montagne, mitoyens de la route qui conduit de Belgodère à Calvi. C'est une absurdité d'accepter que la vie s'en retire, d'accompagner leur dépérissement sans rien leur concéder qui puisse permettre à leurs habitants de s'inventer un avenir.

Un jour, lorsque la montagne sera devenue un désert, l'homme atteindra au solstice du désespoir."

Costa01

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